Quel est le point commun entre une paire de baskets en plastique recyclé, un distributeur de vrac dans les grandes surfaces, un compost de quartier et le nouvel indicateur de réparabilité fraîchement débarqué sur les téléphones portables et les tondeuses à gazon neuves ?
Toutes ces inventions (plus ou moins) surgies au XXIe siècle répondent à la logique de l’économie circulaire, ce concept issu non pas du champ de l’économie mais de celui du développement durable, et qui vise à s’affranchir du modèle « extraire-transformer-utiliser-jeter ».
Il se fonde sur l’idée qu’en s’inspirant des écosystèmes naturels, les cycles biologiques de renouvellement des nutriments et les équilibres naturels seront respectés, et notamment la capacité des organismes à absorber et transformer les déchets des uns en énergie ou ressources pour les autres. Adopté par les industriels et les acteurs publics, cette idée devient un catalyseur majeur de la transition écologique.
Une approche tronquée de la crise environnementale
L’économie circulaire propose un cadre conceptuel qui aide les décideurs à appréhender deux des grands défis environnementaux actuels, à savoir la crise des déchets et l’épuisement des ressources minérales et fossiles – enjeu à la fois politique, économique et environnemental.
Le risque de se focaliser sur ces deux seuls défis est de passer à côté d’autres enjeux moins directement visibles, tels que le réchauffement climatique, la perte de biodiversité ou les effets toxicologiques de nos activités sur l’homme et les écosystèmes. Autant de questions qui exigent de nous davantage d’efforts de conceptualisation et de prospection, nécessaires si l’on souhaite surmonter la crise environnementale à laquelle nous sommes confrontés.
Cette focalisation réduit aussi la complexité des systèmes anthropiques à leur production et à leur élimination, sans interroger leur utilisation, leur maintenance, leur transport ou encore leur utilité pour la société et les individus qui la composent.
Même pour des secteurs où la majorité des impacts environnementaux sont associés à l’extraction des ressources et à l’élimination des déchets tels que l’emballage, les solutions les plus performantes pour limiter l’impact du secteur, telles que la réutilisation, nécessitent de repenser complètement cet objet, ses usages et les interactions entre acteurs de la filière.
Fausses bonnes idées au nom de la « circularité »
La pensée en cycle de vie permet une évaluation des produits à l’aune de plusieurs critères environnementaux à la fois, qui dépassent la simple étape de la fabrication. Elle intègre notamment les acteurs qui ont contribué à sa conception, à son utilisation et ceux qui devront s’en charger en fin de vie. C’est un outil qui remet un peu de complexité environnementale dans l’analyse des systèmes anthropiques.
La directive écoconception constitue l’application directe de la pensée cycle de vie aux produits liés à l’énergie. Elle a donné lieu notamment à des économies d’énergie significatives mais également à l’amélioration de la longévité de certains objets comme les aspirateurs.
Appliquer ce cadre à certaines solutions promues dans le cadre de l’économie circulaire met en lumière un bilan environnemental et sociétal pas toujours aussi positif qu’espéré.
Le cas du recyclage chimique des plastiques
Prenons le recyclage chimique des plastiques. Aujourd’hui, ces derniers demeurent peu recyclés, du fait de leur multiplicité. Derrière les plastiques se cache en réalité une variété de matériaux aux propriétés diverses, ce qui les rend difficilement séparables dans les infrastructures de traitement des déchets.
L’industrie chimique, en collaboration avec l’industrie des déchets et de la plasturgie, fait actuellement la promotion du recyclage chimique comme solution de traitement en fin de vie.
Contrairement aux technologies d’aujourd’hui fondées sur des outils mécaniques, telles que la centrifugation, la flottaison, le broyage et l’extrusion pour récupérer de la matière, le recyclage chimique promet de revenir à des éléments chimiques primaires afin de resynthétiser n’importe quel plastique à partir de n’importe quel déchet en contenant, en utilisant une série de réactions chimiques comme la pyrolyse.
Les analyses environnementales s’appuyant sur la pensée cycle de vie ont révélé que cette technologie est moins performante que l’incinération des plastiques. Elle ne devient intéressante qu’à partir du moment où les flux de plastiques sont relativement homogènes.
Dans ce cas-là, le recyclage mécanique est aussi capable de produire une matière de qualité, avec un impact sur l’environnement plus faible.
La paire de baskets en plastique recyclé
Revenons maintenant à notre paire de baskets Adidas Ocean Plastic, faite à partir de gros morceaux de plastiques collectés sur les plages (et non dans les océans, comme le suggère son nom).
Or, la difficulté n’est pas de réemployer les plastiques ramassés sur nos côtes mais bien d’éviter de trouver dans les océans des bouteilles, des gobelets, des filets de pêche échoués.
L’ambition d’Adidas de réduire l’impact environnemental de ses produits en utilisant ses plastiques plutôt que des matières premières vierges détourne l’attention des parties prenantes sur le vrai défi des fuites de plastiques vers les milieux aquatiques.
En outre, la logistique nécessaire à la massification des flux plastiques et à la fabrication des chaussures peut s’avérer plus émettrice que le fait de brûler ou de recycler ses plastiques localement. Au-delà de 8 000 kilomètres parcourus au total en camion pour collecter, densifier et envoyer sur le site de production, l’incinération du plastique à moins d’impact sur le réchauffement climatique.
En se replaçant dans une perspective cycle de vie pour les textiles, il apparaît que les enjeux environnementaux sont liés à la fréquence de maintenance (lavage, séchage…) et à leur espérance de vie.
Sur ce point, Adidas rate le coche en proposant des chaussures de couleur claire, très salissantes, qui disperseront à chaque lavage des microplastiques dans le milieu naturel. Se pose également la question de la durabilité de la paire et du vieillissement de cette nouvelle matière dans le temps.
Pensée complexe et urgence d’agir
L’urgence de la crise environnementale requiert de transformer en profondeur nos activités industrielles et notre quotidien. Proposer des solutions plus économes en ressources et moins productrices de déchets fait partie intégrante de la réponse au changement climatique.
Le risque d’aller trop vite est néanmoins de promouvoir des idées pertinentes à court terme mais néfastes à long terme. Dans le domaine de l’économie circulaire, des chercheurs néerlandais ont mis en avant le paradoxe déchet/ressource.
En voulant à tout prix trouver un exutoire aux déchets, des systèmes industriels sont développés pour lui donner une valeur marchande. Alors qu’en repensant le modèle de production initial, ils pourraient tout simplement ne jamais voir le jour.
Cette volonté de faire disparaître l’immonde déchet à tout prix pousse aussi à développer des technologies à très faible performance environnementale, énergivores ou dégageant des émissions nocives pour la santé et l’environnement.
L’approche holistique des enjeux environnementaux doit également s’appliquer à l’économie circulaire afin que chaque option envisagée soit évaluée à l’aune de ses conséquences sur les systèmes naturels et humains.
Lucie Domingo, Enseignante-Chercheure en éco-conception, UniLaSalle
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.