Découvrez le nouvel article de Guillemette Garry, Enseignante chercheur, Dr en biologie option phytopathologie, UniLaSalle; Christophe CHAMOT, Ingénieur de recherche en biophotonique, et Isabelle Trinsoutrot Gattin, Directrice Unité de recherche Agroécologie, pour The Conversation.
Les sols jouent un rôle majeur en participant notamment aux grands cycles nécessaires à la vie sur Terre, comme le cycle de l’eau et les cycles des nutriments majeurs (carbone, azote, phosphore…). Ils supportent la plupart des systèmes de production agricoles, sylvicoles et pastoraux et participent à la régulation du climat, en contrôlant les émissions de gaz à effet de serre et la séquestration du carbone, mais aussi l’érosion et la détoxification.
Toutefois, les sols peuvent également héberger des micro-organismes pathogènes des plantes dont des mycètes qui survivent d’une année sur l’autre sous la forme de spores ou de mycélium et peuvent nuire à la santé des plantes pendant plusieurs générations de culture.
Les outils de télédétection permettent aujourd’hui d’obtenir des informations sur l’état de santé des plantes, qui peuvent se révéler intéressantes pour mieux contrôler ces maladies. Plusieurs études font déjà état de l’utilisation des outils de télédétection pour évaluer les symptômes foliaires (des feuilles) que peuvent engendrer les maladies des plantes. Dans le cas de maladies aériennes, c’est-à-dire de maladies transmises par le milieu aérien, les plantes sont contaminées par la dissémination des spores par le vent et la pluie et présentent plus souvent des symptômes foliaires visibles. Mais dans le cas des maladies transmises par le sol, ces symptômes foliaires ne sont pas toujours visibles, tout au moins dans les premiers stades de la maladie.
Dans ce contexte, nous allons mettre en évidence comment les techniques de télédétection peuvent offrir une perspective intéressante pour étudier les micro-organismes pathogènes des plantes transmises par le sol afin de garantir une agriculture plus durable et plus respectueuse de l’environnement.
Détecter les agents pathogènes du sol pour mieux les contrôler
La télédétection est une méthode qui permet de recueillir et d’analyser des données, sans contact direct entre l’objet analysé (des plantes et des champs, dans notre cas) et l’instrument utilisé (par exemple des satellites, des caméras embarquées dans des drones). La télédétection détecte les rayonnements émis ou réfléchis par l’objet d’étude ; et la « spectro-imagerie » est une technologie de télédétection permettant d’obtenir des images d’un objet dans des zones spectrales variées allant de 400 à 2 500 nanomètres, c’est-à-dire dans des longueurs d’onde qui peuvent se situer en dehors du visible et qui peuvent parfois renseigner sur la santé des plantes de façon plus précise que les longueurs d’onde visibles étudiées isolément.
Les techniques de télédétection sont non destructives : les images « spectrales » peuvent capter les paramètres biochimiques et biophysiques des plantes et détecter les changements dans l’activité de photosynthèse, les pigments, la teneur en eau ou la structure des feuilles causés pendant la pathogenèse sans qu’on ait besoin de détruire la plante. En effet, les plantes répondent aux infections de diverses manières, par exemple par le flétrissement, le jaunissement ou parfois la nécrose, et il est donc dans certains cas possibles d’obtenir une « signature spectrale" spécifique pour une maladie végétale donnée.
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Par exemple, la présence du mildiou sur des plants de pommes de terre, causé par l’agent pathogène du sol Phytophthora infestans, a pu être détectée en utilisant des mesures hyperspectrales, et ce avant même que ces symptômes de maladie sur les plantes ne soient visibles par l’homme. Les chercheurs ont même pu distinguer deux pathogènes de la pomme de terre qui présentent des symptômes semblables Phytophthora infestans (mildiou, maladie tellurique provoquant des symptômes foliaires) et Alternaria solani (mildiou, maladie aérienne).
Même quand il n’y a pas de symptômes visibles
La télédétection peut être particulièrement intéressante dans le cas d’une détection de pathogène ne présentant pas de symptôme visible sur la plante. C’est souvent le cas de maladies transmises par le sol, qui induisent des problèmes de fonctionnement physiologique mais pas nécessairement des symptômes de maladie foliaire ou des symptômes aériens.
Par exemple, l’imagerie spectrale a été utilisée pour détecter le stress hydrique qu’induit le pathogène Rhizoctonia solani dans des champs de betteraves à sucre. Le stress hydrique est causé par la présence abondante du mycélium du champignon dans les vaisseaux conducteurs de la plante. Les résultats ont démontré que la télédétection, combinée aux technologies des systèmes d’information géographique, peut être utilisée efficacement pour la détection et la cartographie des symptômes de stress causés par la pourriture du collet et des racines du rhizoctone.
Un système multispectral (qui acquiert des données à différentes longueurs d’onde) a permis par exemple de détecter la brûlure de l’épi (gale) causée par l’agent pathogène Fusarium sur le blé d’hiver, micro-organisme fongique pathogène transmis par le sol et produisant une toxine hautement toxique, et ce de façon plus précise qu’un système fonctionnant à une seule longueur d’onde. Les auteurs ont montré que ces techniques étaient capables de distinguer les parcelles de contrôle non infectées et infectées.
Ainsi, la cartographie des symptômes avec ces outils pourrait être particulièrement utile pour délimiter les lieux d’infection dans le cas de ces maladies du sol qui n’ont généralement pas une grande capacité de propagation dans le sol.
La détection précoce de l’infection du Fusarium du blé dans les graines a été également obtenue en utilisant un système d’imagerie hyper et multispectral dans des conditions de laboratoire. Dans ce cas, la technique de télédétection permet de détecter les micro-organismes qui présentent des risques sanitaires par la production de mycotoxines, tant pour les humains que pour les animaux. L’utilisation de ces outils pourrait alors faciliter la traçabilité future des aliments. On peut envisager qu’une détection précoce pourrait par exemple permettre de récolter séparément les grains de blé infectés des grains de blé sains.
Détecter l’action de micro-organismes nuisibles aux micro-organismes pathogènes des plantes
L’imagerie spectrale peut également offrir des possibilités de détection précoce de l’action de micro-organismes nuisibles aux micro-organismes pathogènes des plantes – on appelle ceux-ci des « bio-contrôles ». Ils pourraient servir d’alternative à la lutte chimique.
Récemment, l’imagerie hyperspectrale a été utilisée pour détecter l’effet d’un champignon microscopique ayant un effet biocontrôle, le Trichoderma, sur des champignons pathogènes des plantes en mesurant les effets bénéfiques que le biocontrôle procure sur des plantes infectées grâce à leurs « signatures spectrales » (des éléments caractéristiques et bien identifiables). L’activité de Trichoderma a été évaluée contre les pathogènes du sol responsables de la rhizoctone de la roquette sauvage, et de la sclérotiniose de la laitue verte et rouge. Les auteurs ont pu montrer des signatures spectrales différentes entre les plantes saines, infectées et bioprotégées.
Mieux comprendre comment les pathogènes agissent sur les plantes
Dans certains cas, l’imagerie spectrale peut même permettre de suivre les mécanismes de pathogenèse, c’est-à-dire le processus par lequel un pathogène agit sur l’organisme et détermine une maladie. Par exemple, la réponse des feuilles de concombre à l’acide fusarique (une mycotoxine produite par l’agent pathogène Fusarium) peut être étudiée en utilisant l’imagerie thermique.
En détectant plus précocement ces maladies ou en comprenant mieux leur fonctionnement, on peut alors mieux les contrôler en pratiquant des rotations des cultures par exemple, ou en les traitant mais de manière plus localisée et plus raisonnée.
Guillemette Garry, Enseignante chercheur, Dr en biologie option phytopathologie, UniLaSalle; Christophe CHAMOT, Ingénieur de recherche en biophotonique, Inserm et Isabelle Trinsoutrot Gattin, Directrice Unité de recherche Agroécologie, UniLaSalle
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.