Article d'Olivier Pourret, Enseignant-chercheur en géochimie et responsable intégrité scientifique et science ouverte, UniLaSalle, pour The Conversation France.
Des centaines de tonnes de plomb dans la flèche et le toit de Notre-Dame ont fondu lors de l’incendie du 15 avril 2019 selon plusieurs agences de presse. L’Agence Régionale de Santé Île-de-France a rapporté que les concentrations de plomb restaient élevées à certains endroits à l’intérieur du bâtiment et dans le sol du parc et du parvis adjacents, ceux-ci ont été fermés temporairement au public après l’incendie.
Le plomb fait partie des métaux dits « lourds » et l’empoisonnement au plomb existe bel et bien. Également connu sous le nom de saturnisme, il se produit le plus souvent par ingestion du métal, plus particulièrement par ingestion orale de poussière et d’éclats de peinture contenant du plomb. Ce type d’empoissonnement est bien connu et particulièrement dramatique pour les petits enfants, mais au-delà de l’ingestion par voie orale, les mesures de contamination au plomb sont encore difficiles à interpréter.
Qu’est-ce qu’un « métal lourd » ?
Dans les cours de sciences à l’école primaire, on demande souvent aux enfants : « Quel est le plus lourd : un kilo de plomb ou un kilo de plumes ? » La réponse apparemment naïve à l’énigme familière est le kilo de plomb. C’est une question classique pour leur enseigner des notions rudimentaires en science. La réponse normale est évidemment qu’ils sont tous les deux aussi lourds. Suivant la définition donnée à « lourd », la réponse peut se discuter, lequel a la plus grande masse ? Lequel a le plus grand poids ? Lequel est le plus difficile à soulever ?
Mais au-delà des discussions sur la masse et le poids, il n’est en fait pas facile de comprendre ce qu’est vraiment un « métal lourd ». De plus, les scientifiques remettent maintenant en question le nom de cette classe de matériaux.
D’où vient le terme ?
Les éléments chimiques sont bien caractérisés, et leur classification, dite « de Mendeleiv », a fêté ses 150 ans en 2019. Selon leurs propriétés et leurs structures électroniques, on les classe dans des séries. La série des « métaux lourds » a plutôt mauvaise presse.
Initialement, le terme « métaux lourds » était basé sur une catégorisation par densité (le rapport de la masse d’un objet à celle qu’aurait le même volume constitué d’eau) ou masse molaire (la masse d’une mole d’atomes). Cette définition originale des métaux lourds reste pertinente, bien que plusieurs éléments métalliques « lourds » aient une densité relativement faible. Par exemple, le zinc et le cuivre ont une densité et une masse molaire relativement faibles par rapport aux lanthanides et actinides, qui ont parmi les masses molaires les plus élevées des éléments du tableau périodique.
Mais liste des « métaux lourds » n’est en fait pas clairement définie. Le terme « métaux lourds » est souvent utilisé comme nom de groupe, mêlant souvent métaux et métalloïdes. Les métalloïdes, comme l’arsenic, sont des intermédiaires entre métaux et non-métaux. Métaux comme métalloïdes sont associés à une contamination et à une toxicité potentielle dans l’environnement.
En définitive, le terme « lourd » associé à la toxicité du métal induit – légitimement – une forme de peur dans la société. Mais c’est un usage abusif, mais répandu, comme le soulignent plusieurs scientifiques, notamment en sciences de l’environnement et santé publique, du développement durable, ou de la géochimie
En 1980, Nieboer et Richardson avaient déjà proposé le remplacement de ce terme indéfinissable par une classification biologiquement et chimiquement significative. De plus, selon l’Union internationale de chimie pure et appliquée (IUPAC), le terme « métaux lourds » est considéré comme imprécis (au mieux), et comme dénué de sens et trompeur (au pire). L’utilisation de ce terme est fortement déconseillée par l’IUPAC, d’autant plus qu’il n’existe pas de définition standardisée de ce terme.
Comment devrait-on appeler les métaux « lourds » ?
Avec plusieurs collègues, nous proposons de remplacer le terme par « éléments potentiellement toxiques ». En effet, du fait de leur persistance dans l’environnement et de leur caractère permanent (seuls des changements dans leurs espèces chimiques peuvent se produire), la plupart d’entre eux sont malheureusement capables de polluer définitivement les eaux souterraines ou les sols.
Tous les « métaux lourds » et leurs composés peuvent avoir une toxicité relativement élevée. Par exemple, l’exposition humaine au plomb par l’ajout de plomb tétraéthyl à l’essence comme agent anti-détonnant, ou à la peinture au plomb, sont bien documentée. En revanche, les batteries au plomb ne constituent pas une menace directe pour la santé humaine lors de l’utilisation – c’est leur élimination en fin de vie qui peut générer une pollution environnementale liée au plomb.
En science de l’environnement, la spéciation chimique des éléments, c’est-à-dire leur forme moléculaire, est souvent négligée. Par exemple, sous forme pure, sous forme de sels simples ou de composé organique comme le plomb tétraéthyl, le plomb est plus ou moins mobile. Le fait que la spéciation chimique soit rarement prise en compte est dû au fait qu’elle est relativement coûteuse (en temps et en ressources) et par nature difficile à mesurer directement.
La toxicité dépend de l’environnement du métal à l’échelle moléculaire
Les caractéristiques physiques, chimiques et biologiques d’une molécule dépendent de sa structure moléculaire et non seulement de ses constituants élémentaires. C’est donc aussi le cas de sa toxicité.
En effet, la toxicité de ces métaux ou métalloïdes, comme le plomb ou l’arsenic, dépend de leur spéciation et de leur concentration. Pour évaluer leur toxicité, il faut comprendre la « bioaccessibilité » et la « biodisponibilité » du plomb ou de l’arsenic dans une molécule spécifique, dans un milieu spécifique. La « bioaccessibilité » correspond à la fraction accessible d’une substance dans une matrice pouvant être libérée dans les sucs gastro-intestinaux (des hommes) et donc pouvant être absorbée dans le corps et provoquer d’éventuels effets. Seule la fraction « biodisponible » atteint réellement la circulation sanguine et les organes cibles au niveau desquels elle peut exercer son action toxique.
Malgré cela, les éléments sont pour la plupart jugés toxiques en raison des preuves relatives à la toxicité de quelques-unes seulement des espèces chimiques dans lesquelles ils se trouvent.
Il est essentiel que les études environnementales prennent en compte les espèces présentes plutôt que le constituant élémentaire. Le fait de ne pas prendre correctement en compte la spéciation chimique des éléments peut conduire à une mauvaise évaluation des risques et à une mauvaise utilisation de la législation, comme pour le mercure il y a quelques années. Les lois et règlements basés sur une simple analyse élémentaire peuvent considérer à tort les milieux ou produits environnementaux comme toxiques.
Les métaux ne sont pas toujours toxiques, et certains sont en fait essentiels : en fonction du dosage et des niveaux d’exposition et de l’organisme receveur ou de la population receveuse, ils peuvent être essentiels ou toxiques. Par exemple, le nickel est l’un des métaux les plus polyvalents que l’on trouve sur Terre. Connu pour son utilisation dans la pièce de cinq cents américaine, il est essentiel à la vie, pour son rôle essentiel à l’action de protéines enzymatiques. Sa carence s’accompagne de changements histologiques et biochimiques, et d’une réduction de la résorption du fer qui peut entraîner une anémie… mais le nickel joue aussi un rôle important dans le développement d’une infection pathogène (causée par la bactérie Helicobacter pylori) et dans la production d’une enzyme dépendante au nickel, l’uréase, qui colonise l’estomac.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.