Jeudi 24 mars 2022

Retrouvez le nouvel article de l'unité AGHYLE d'UniLaSalle paru dans le média The Conversation.

Michel-Pierre Faucon, UniLaSalle; David Houben, UniLaSalle; Isabelle Trinsoutrot Gattin, UniLaSalle et Nicolas Honvault, UniLaSalle

Comme tous les organismes vivants, les plantes ne peuvent pas se passer de phosphore, qui constitue un élément majeur pour leur nutrition et la productivité des agroécosystèmes. Mais par la nature de ses formes chimiques, le phosphore est peu disponible dans les sols pour les plantes. La fertilisation des cultures en phosphore a ainsi représenté un élément essentiel au développement de l’agriculture ; de nos jours, cette fertilisation est toujours requise pour maintenir la production alimentaire.

La fertilisation phosphatée constitue toutefois une source de contamination – en métaux toxiques, avec notamment le cadmium et l’uranium – des sols cultivés ; cela principalement en raison des impuretés présentes dans certaines roches phosphatées utilisées pour la fabrication de ces engrais. On en consomme en France chaque année, qui représentent environ 410 000 tonnes (et 2,6 millions de tonnes pour l’Union européenne).

 

 

Or le cadmium s’accumule dans la chaîne alimentaire. Et l’on sait que l’exposition au cadmium chez les humains (non-fumeurs) provient principalement de la contamination des sols par les engrais phosphatés.

Classé cancérogène pour l’être humain par l’Organisation mondiale de la santé, plusieurs pays de l’Union européenne ont adopté une réglementation fixant une limite inférieure ou égale allant de 60 à 20 mg de cadmium par kg d’engrais phosphaté.

 

Recycler le phosphore accumulé dans les sols

Les ressources minières de roches phosphatées présentant de faibles teneurs en cadmium constituent des ressources finies et épuisées en Europe ; elles sont également devenues rares à l’échelle mondiale (un gisement est présent en Russie). Face à cette rareté, de nouveaux systèmes d’économie circulaire et de nouvelles pratiques sont à mettre en place pour sécuriser la production agricole.

Un des défis actuels concerne le recyclage du phosphore au sein de nos territoires, en valorisant notamment les excréments animaux et humains, mais aussi l’accroissement de la disponibilité du phosphore accumulé dans les sols cultivés suite à une longue histoire de fertilisation. Il s’agit de réduire les apports en phosphore minéral d’origine fossile et les pertes par les eaux de ruissellement.

Le premier objectif le plus durable – avant d’effectuer de nouveaux apports de phosphore renouvelable impliquant du transport et des émissions de gaz à effet de serre – consiste donc à recycler le phosphore accumulé dans les sols en améliorant sa disponibilité, c’est-à-dire sous une forme chimique assimilable par la plante.

Il existe divers moyens d’y arriver, grâce à certaines pratiques agroécologiques notamment.

 

Valoriser le génie des plantes et des micro-organismes du sol

Les pratiques qui s’appuient sur les principes de l’agroécologie (qui propose d’examiner le fonctionnement des agrosystèmes et d’intégrer des processus écologiques) peuvent offrir une opportunité de limiter les pertes en phosphore et d’en améliorer la disponibilité dans les sols cultivés pour rendre son utilisation plus efficace.

Avant de mobiliser ce phosphore non disponible dans les sols, une des priorités consiste à en limiter les pertes par le ruissellement dans un objectif à la fois d’économie et de réduction de pollution des eaux de surface (ce qu’on appelle le phénomène d’eutrophisation).

Lors des saisons pluvieuses, les plantes, et plus globalement les cultures couvrant entièrement le sol, limitent l’énergie des gouttes d’eau et la formation d’un ruissellement intense. Celles avec une forte densité de racines fines par volume de sol favorisent la perméabilité et l’infiltration de l’eau, provoquant ainsi la réduction du ruissellement et du transfert de phosphore dans les eaux de surface.

Les plantes présentant une densité de tiges et de feuilles verticales constituent aussi une barrière végétale réduisant le ruissellement et donc les pertes du phosphore associées. Les cultures présentant toutes ces caractéristiques sont donc préconisées pour réduire les pertes par ruissellement.


Plusieurs espèces et variétés, adaptées aux faibles teneurs disponibles en phosphore ou moyennement exigeantes (comme le lupin blanc), augmentent la longueur de leurs racines, la densité de poils absorbants et s’associent avec des champignons symbiotiques (les mycorhizes) afin de répondre à l’hétérogénéité spatiale du phosphore dans le sol, améliorant l’exploration de ce dernier et son absorption.

 

Miser sur la complémentarité

Les microorganismes du sol, et plus particulièrement du sol adhérant aux racines, sont capables d’améliorer la disponibilité du phosphore.

Ils existent ainsi des bactéries qui minéralisent le phosphore organique (peu disponible) grâce à l’activité de leurs enzymes (appelées phosphatases ou phytases) ou qui solubilisent des formes non disponibles.

Des champignons peuvent participer à cette mobilisation en exsudant de petites molécules organiques prenant la place du phosphore fixé (bloqué) sur les constituants du sol. Ces phénomènes microbiologiques sont donc à exploiter pour recycler le phosphore stocké dans les sols. Lorsque le sol ne présente pas ces fonctions microbiologiques, ces micro-organismes peuvent être appliqués au niveau des graines semées afin de rechercher ce service d’amélioration de la disponibilité du phosphore.

Certaines espèces et variétés cultivées – comme la féverole, la vesce velue, la lentille – présentent des caractéristiques particulières au niveau de leurs racines pour augmenter la disponibilité du phosphore et son prélèvement. Ces caractéristiques ont été mises en évidence au cours de la dernière décennie et constituent aujourd’hui une base de connaissances pour composer des cultures favorisant cette disponibilité et donc son recyclage au sein de l’agroécosystème.

Cependant, la « super plante » qui mobiliserait du phosphore dans le sol n’existe pas : les végétaux ne peuvent mobiliser tout à la fois les caractéristiques morphologiques, symbiotiques et chimiques nécessaires à cette fin. Ce sont, par exemple, les plantes avec des racines plus épaisses (comme la féverole et la lentille ou des graminées) et présentant une plus faible longueur qui s’associent avec les champignons mycorhiziens engagés dans l’exploration du sol. Les plantes avec une longueur de racines élevées et fines (comme la phacélie, le trèfle d’Alexandrie, l’avoine rude) seront moins associées avec ces champignons et libéreront donc moins d’exsudats favorisant la disponibilité du phosphore.

Penser la complémentarité à l’échelle d’une communauté végétale cultivée semble donc s’imposer.

 

Associer les cultures

Plusieurs études ont mis en évidence le rôle des cultures composées de plusieurs espèces ou variétés dans l’amélioration rapide de la disponibilité du phosphore au sein des agroécosystèmes ; diversité des variétés, association de deux cultures récoltées, cultures en relais et cultures compagnes (implantées pour fournir certains services).

L’intégration de cultures intermédiaires, implantées entre deux cultures pour couvrir le sol et éviter les pertes en azote et la pollution de l’eau, composées d’espèces efficaces pour acquérir le phosphore constitue une des pratiques pouvant augmenter la disponibilité du phosphore. Ces cultures absorbent une quantité de phosphore ensuite libérée lors de la minéralisation de leurs résidus, bénéficiant à la culture suivante et permettant la réduction d’apport de fertilisant phosphaté.

Il s’agira désormais de combiner l’utilisation des ressources en phosphore renouvelables présentes à l’échelle du territoire et le développement de cultures et variétés répondant aux exigences des filières agricoles et à l’amélioration de la disponibilité du phosphore dans les sols.The Conversation

 

Michel-Pierre Faucon, Enseignant-chercheur en écologie végétale et agroécologie - Directeur à la recherche UniLaSalle Beauvais, UniLaSalle; David Houben, Enseignant-chercheur, science du sol, UniLaSalle; Isabelle Trinsoutrot Gattin, Directrice Unité de recherche Agroécologie, UniLaSalle et Nicolas Honvault, Post doctorant, agroécologie, UniLaSalle

 

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.